Rodin: Evolution of a Genius General Audio Tour – adulte le français

Visite audio mieux avec un casque

étape de la tournée: 101

Intro and La Main De Dieu

Details and Transcript

 

Auguste Rodin (1840–1917)
The Hand of God
About 1896-1902
Marble, practitioner Louis Mathet, 1906-1907
73.77 x 58.4 x 64.1 cm
New York, The Metropolitan Museum of Art, gift of Edward D. Adams
Image © The Metropolitan Museum of Art / Art Resource, NY

Bonjour. Je suis Tucker Harris et, au nom de monsieur Alex Nyerges, directeur du Musée, je vous souhaite la bienvenue à l’exposition Rodin: Evoulution of a Genius. Organisée par le Musée des beaux-arts de Montréal et le musée Rodin de Paris, cette exposition lève le voile sur le processus de création du grand sculpteur Auguste Rodin né en 1840.

Avant d’entreprendre notre visite, j’aimerais vous dire quelques mots au sujet de l’audioguide. Il comporte 21 commentaires conçus pour un public adulte. Soucieux d’encourager la découverte de l’art en famille, le Musée a également prévu 10 commentaires à l’intention de ses jeunes visiteurs Les commentaires destinés aux adultes sont indiqués par le symbole d’un casque à écouteurs et ceux des enfants, par celui d’un livre ouvert.

Rien d’étonnant qu’un sculpteur soit fasciné par la main. C’est elle qui façonne et qui donne vie aux figures qu’il imagine. C’est l’instrument même de sa création. Chez Rodin, la main est un thème privilégié. Présentées seules ou rattachées à un corps, les mains sont toujours expressives. Même sans attribut, nous sommes en mesure de comprendre leur identité ou la situation qu’elles suggèrent. Je parie que vous serez en mesure de trouver les deux mains droites réunies et intitulées La Cathédrale, par exemple. C’est ce qu’avait bien compris le poète Rainer Maria Rilke, auteur d’un ouvrage sur l’oeuvre de Rodin en 1903:

Il y a dans l’oeuvre de Rodin des mains, des mains indépendantes et petites qui, sans appartenir à aucun corps, sont vivantes. Des mains qui se dressent, irritées et mauvaises, des mains qui semblent aboyer avec leurs cinq doigts hérissés. Des mains qui marchent, qui dorment et des mains qui s’éveillent; des mains criminelles, des mains fatiguées qui ne veulent plus rien, qui se sont couchées, dans un coin quelconque, comme des bêtes malades qui savent que personne ne peut les aider.

Et il y a La Main de Dieu. La main qui surgit du bloc à peine dégrossi. La main qui tient une matière de laquelle émerge le couple enlacé et sensuel d’Adam et d’Ève. Observez le contraste entre le fini lisse de la main et la matière brute du bloc. Ce choix esthétique de l’inachevé, ce non finito, rappelle sans conteste Michel-Ange que Rodin admirera toute sa vie.

Pour créer cette oeuvre, Rodin réutilise la main de Pierre de Wissant, un des personnages de son monument Les Bourgeois de Calais conçu 15 ans plus tôt. Dans cette sculpture, la main levée du bourgeois exprime le désespoir. Rodin lui donne ici une toute autre signification. Ce recyclage est un procédé que nous verrons souvent dans l’oeuvre innovante de l’artiste. La main qui façonne les premiers humains est le symbole du Créateur suprême. Mais ne symbolise-t-elle pas aussi la main du sculpteur lui-même?

Avant de nous arrêter devant la maquette de La Porte de l’Enfer, je vous invite à observer la grande photographie de la Porte en écoutant quelques commentaires de l’époque
• Il y a chez ce jeune sculpteur, une originalité et une puissance d’expression tourmentée vraiment surprenante.
• C’est un fouillis, un emmêlement, un enchevêtrement.
• C’est un champ de bataille de corps frémissants.
• La Porte de l’Enfer est saisissante dans son inachèvement.
• Elle est admirable de désespoir.

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étape de la tournée: 102

La Porte De L’Enfer troisième maquette

Details and Transcript

Auguste Rodin (1840–1917)
The Gates of Hell
bronze
Alexis Rudier Foundry, cast 1928
©Musée Rodin

C’est en 1880, alors que Rodin a 40 ans, qu’il reçoit la commande pour une porte monumentale destinée au futur musée des Arts décoratifs. Le sujet choisi par l’artiste s’inspire de La Divine Comédie du poète italien Dante Alighieri. Dans ce long poème du 14e siècle, Dante décrit sa traversée des Enfers, du Purgatoire et du Paradis. Rodin se passionne pour les Enfers peuplés d’une foule de créatures souffrantes et laisse de
côté les autres parties. Cependant, l’oeuvre de Rodin n’est aucunement l’illustration du poème, mais bien une interprétation libre et personnelle.

La Porte de l’Enfer occupe la place la plus importante dans l’oeuvre de Rodin. Il y travaille de nombreuses années et la soumet à de perpétuelles transformations. Il crée plus de 225 figures dont il se sert comme d’un réservoir de formes dans lequel il puise tout au long de sa carrière. Comme nous le verrons dans notre parcours, les figures d’abord conçues pour La Porte, seront souvent retravaillées et présentées comme des sculptures autonomes.

Rodin imagine d’abord la porte divisée en caissons comme La Porte du Paradis créée en 1452 par Lorenzo Ghiberti pour le Baptistère de Florence, que Rodin a peut-être vue lors de son voyage en Italie en 1877. Mais le projet évolue et Rodin abandonne cette structure pour lui préférer une porte à vantaux et montants, surmontée d’un tympan, que lui inspirent les cathédrales gothiques que l’artiste admirait tant. Cette organisation permet à Rodin de se libérer du bas-relief et de peupler sa porte de figures en ronde-bosse, c’est-à-dire des sculptures tridimensionnelles. Il conçoit une foule de figures parfois difficiles à identifier, comme vous avez pu le constater sur la photo de La Porte. Les vantaux apparaissent comme un magma organique, un flot agité dans lequel se meuvent les âmes condamnées au châtiment éternel. Dans cette troisième maquette créée un an ou deux après la commande de 1880, on peut reconnaître Le Penseur qui domine la scène, Le Baiser à gauche et Ugolin dévorant ses enfants à droite. J’aurai l’occasion de revenir sur ces oeuvres un peu plus loin.

La Porte de l’Enfer est exposée pour la première fois en 1900, soit vingt ans après la commande. Entretemps, le projet de construction du musée des Arts décoratifs, auquel La Porte était destinée, est abandonné. Nous verrons, tout au long de notre parcours, plusieurs sculptures conçues pour ce projet qui finalement restera inachevé. Ce n’est qu’après la mort de l’artiste, en 1917, que des épreuves en bronze de La Porte de l’Enfer seront fondues.

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étape de la tournée: 103

Les Fragments 

Details and Transcript

Auguste Rodin (1840–1917)
Fragments / Ecclesiastes
plaster
before 1889
© Musée Rodin (photo Christian Baraja)

Table corner of first display in gallery 2

Lorsque Rodin présente une grande rétrospective de ses oeuvres en 1900, en marge de l’Exposition universelle de Paris, un critique remarque la disposition libre et ouverte des pièces, en contraste marqué avec la rigidité des expositions officielles de sculpture. La scénographie donne à un visiteur « l’impression d’entrer dans un atelier ». Faites le tour de cette salle durant le commentaire qui suit. En plus de ces fragments, vous pourrez observer plusieurs exemples d’assemblages et vous imaginer que vous visitez l’atelier du sculpteur.

Rodin a connu plusieurs ateliers. De l’ancienne écurie insalubre et sans chauffage louée dans sa jeunesse, au grand espace prêté par l’État en 1880, l’atelier est un lieu de labeur et de collaboration où s’entassent les matériaux, les oeuvres en devenir et tout le personnel nécessaire à la production des oeuvres. On y trouve des mouleurs, des metteurs aux points, des tailleurs de pierre, des modèles. Dans son atelier, Rodin emploie jusqu’à une cinquantaine d’assistants. Cet espace de création ressemble à une petite entreprise où s’exerce la division du travail. C’est là que Rodin conçoit, expérimente et réalise ses oeuvres. Écoutons encore une fois le poète Rilke qui visite l’atelier de Rodin en 1902.

D’immenses vitrines, pleines d’admirables fragments de La Porte de l’Enfer. Cela défie la description. Rien que des fragments, côte à côte, sur des mètres. Des nus de la grandeur de ma main, d’autres plus grands, mais rien que des morceaux, à peine un nu entier : souvent un morceau de bras, de jambe tels qu’ils se présentent, côte à côte, et tout près, le tronc qui leur revient. Ailleurs le torse d’une figure contre lequel se presse la tête d’une autre, le bras d’une troisième… comme si une tempête indicible, un cataclysme sans précédent s’étaient abattus sur cette oeuvre. Pourtant, mieux on regarde, plus profondément on ressent que tout cela serait moins entier si chaque figure l’était. Chacun de ces débris possède une cohérence si exceptionnelle et si saisissante, chacun est si indubitable et demande si peu à être complété que l’on oublie que ce ne sont que des parties, et souvent des parties de corps différents, qui se rassemblent si passionnément ici. On devine soudain qu’envisager le corps comme un tout est plutôt l’affaire du savant, et celle de l’artiste, de créer à partir de ces éléments de nouvelles relations, de nouvelles unités, plus grandes, plus légitimes, plus éternelles. Et cette richesse inépuisable, cette invention infinie, perpétuelles, sont sans équivalent dans l’histoire humaine.

Ces fragments, ces ramassis de figures, ces « abattis » comme il les appelait, voilà les matériaux de Rodin. L’assemblage – voilà une des pratiques du maître dont nous avons plusieurs exemples dans cette salle.

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étape de la tournée: 104

Je suis belle

Details and Transcript

 

Auguste Rodin (1840–1917)
I Am Beautiful
Assemblage of The Falling Man and Crouching Woman (for The Gates of Hell)
1882
Patinated plaster for bronze casting
69.5 x 36.3 x 36.2 cm
Paris, Musée Rodin
© Musée Rodin (photo Christian Baraja)

Le titre de ce couple, Je suis belle, est inspiré d’un poème de Charles Baudelaire, autre source de Rodin pour les figures de sa porte.

Je suis belle ô mortels! comme un rêve de pierre,
Et mon sein, où chacun s’est meurtri tout à tour,
Est fait pour inspirer au poète un amour
Éternel et muet ainsi que la matière.

Voilà un bel exemple d’assemblage que Rodin pratique tout au long de sa carrière. Ici, il unit des figures d’abord conçues isolément. Regardez la cambrure du corps de l’homme, arqué sous l’effort demandé pour tenir la femme à bout de bras. Observez la contraction des muscles du dos de l’homme et les membres rassemblés du corps de la femme recroquevillée sur elle-même. Edmond de Goncourt, écrivain et critique d’art écrit :
En prenant au hasard dans un tas de moulages répandus à terre, Rodin nous fait voir de tout près un détail de sa porte. Un groupe de la plus grande originalité représente dans sa pensée l’amour physique, mais sans que la traduction de sa pensée soit obscène. C’est un mâle qui tient contre le haut de sa poitrine une faunesse contractée et les jambes ramassées dans un étonnant resserrement de grenouille qui s’apprête à sauter.

La sensualité de cette figure et l’érotisme sombre qu’elle suggère la rendent très populaire. Rodin la reprend en différentes tailles et différents matériaux. Mais il ira encore plus loin lorsqu’il n’utilisera que des fragments d’oeuvres comme on pourra le voir dans le Grand Torse de L’Homme qui tombe.

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étape de la tournée: 105

Nu féminin à tête de femme salve, émergeant d’un vase

Details and Transcript

 

Auguste Rodin (1840–1917)
Assemblage: Standing Female Nude in an ancient tripod vessel
1895-1905
Plaster, terracotta
27 x 12.4 x 15 cm
Paris, Musée Rodin
© Musée Rodin (photo Christian Baraja)

Ses mains étaient extraordinairement larges avec des doigts fort courts. Il malaxait la glaise avec furie, la roulant en boules, en cylindres, usant à la fois de la paume et de ses ongles, pianotant sur l’argile, la faisant tressaillir sous ses phalanges, tantôt brutal, tantôt caressant, tordant d’un seul coup une jambe, un bras, ou bien effleurant à peine la pulpe d’une lèvre. C’était un délice de le voir à l’oeuvre. La terre s’animait sous ses passes magnétiques.

C’est l’auteur et ami de Rodin, Paul Gsell, qui assiste à une séance de modelage et qui nous décrit la méthode du maître. Ainsi naissent les petites figures ludiques que fera en grand nombre Rodin dans la dernière décennie de sa vie et dont nous avons plusieurs exemples dans cette salle. Avec ce Nu féminin émergeant d’un vase, sa technique d’assemblage va encore plus loin car il marie un objet de sa vaste collection d’antiquités et une petite figure féminine.

Rodin commence très tôt à collectionner des sculptures et objets antiques d’Égypte, de Grèce et de Rome. C’est à la villa des Brillants, sa maison à Meudon en banlieue de Paris, qu’il accumule et met en scène sa vaste collection. Composée en majorité de fragments, elle est une source d’inspiration constante. Mais dans les assemblages que nous voyons ici, la collection devient le matériau même de la création. Voilà un bel exemple d’art combinatoire, ce système de transformation par assemblage qui est le fondement de la modernité de Rodin.

Les petites figures que Rodin place dans les vases et les coupes rappellent l’analogie que fait Rodin à Paul Gsell :
Par moment, le corps de la femme ressemble à une fleur : la flexion du torse imite la tige, le sourire des seins, de la tête et l’éclat de la chevelure répondent à l’épanouissement de la corolle. Par moments, il rappelle une souple liane, un arbuste à la cambrure fine et hardie…

Une femme dans un vase ne nous paraît-elle pas maintenant un peu moins saugrenue?

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étape de la tournée: 106

Celle qui fut la belle heaulmière

Details and Transcript

Auguste Rodin (1840–1917)
She Who Was the Helmetmaker’s Once-Beautiful Wife
patinated plaster for bronze casting
1880-3
©Musée Rodin

Le modèle pour cette poignante sculpture s’appelle Marie Caira. C’est l’écrivain Octave Mirbau qui raconte sa triste histoire. Venue à Paris pour voir son fils, l’Italienne de 82 ans est forcée par celui-ci d’aller poser pour les artistes afin de gagner sa croûte. C’est ainsi qu’elle servira de modèle à Rodin mais aussi à ses collaborateurs Jules Desbois et Camille Claudel. Le Masque de la mort de Jules Desbois, c’est elle. La belle Heaulmière aussi. Échappée de La Porte de l’Enfer, la sculpture de cette vieille femme décharnée recroquevillée sur elle-même impressionne par son réalisme sans concession et sa force d’expression. Rien n’est laid en art pour Rodin sauf ce qui est faux et artificiel.

En art, est beau uniquement ce qui a du caractère. Le caractère, c’est la vérité intense d’un spectacle naturel quelconque, beau ou laid. Mes bustes ont souvent déplu parce qu’ils furent toujours très sincères. Ils ont certainement un mérite : la véracité. Qu’elle leur serve de beauté!

PROCESSUS DE CRÉATION DE RODIN
Voici comment Rodin procède pour créer une figure.
Lorsque je commence une figure, je regarde d’abord la face, le dos, les deux profils de droite et de gauche, c’est-à-dire ses profils dans les quatre angles; puis, avec la terre, je mets en place la grosse masse, telle que je la vois et le plus exactement possible. Je fais ensuite les intermédiaires, ce qui donne les profils vus des trois quarts; puis, tournant successivement ma terre et mon modèle, je les compare entre eux et les épure.

Cette manière d’aborder le modèle, qu’il appelle sa théorie des profils, est une constante dans la pratique de l’artiste. C’est ainsi qu’il reste fidèle à la nature et qu’il accède à la vérité de la figure. Si la ressemblance physique est importante, Rodin cherche surtout à exprimer le caractère du modèle, sa vie intérieure, son âme. Tout ce qui est dans la nature est beau, puisque c’est vivant… La beauté, c’est la vie, quelle que soit sa forme.

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étape de la tournée: 107

Masque de hanako

Details and Transcript

 

Auguste Rodin (1840–1917)
Mask of Hanako, Type E
Between 1907 and 1910
Terracotta, plaster
18 x 12 x 14.4 cm
Paris, Musée Rodin
© Musée Rodin (photo Christian Baraja)

Hanako (1868-1945) signifie « petite fleur ». C’est ainsi que la surnomme la danseuse américaine Loïe Fuller qui présente l’actrice japonaise à Rodin en 1906. Venue à Marseille pour l’Exposition coloniale, elle impressionne Rodin par sa force et sa souplesse. Il l’invite à poser pour lui. Il fera plus 50 masques et bustes de Hanako et plusieurs dessins dont on peut voir quelques exemples ici. La puissance musculaire du corps « exotique » de cette comédienne toute menue frappe Rodin qui confie à Paul Gsell :

Elle est tellement robuste qu’elle peut rester aussi longtemps qu’elle le veut sur une seule jambe en levant l’autre devant elle à angle droit. Elle paraît ainsi enracinée dans le sol comme un arbre.

Elle pouvait contracter son visage dans des expressions de rage et garder la pose durant de longues heures. L’actrice était émouvante et très expressive lorsqu’elle interprétait des scènes de hara-kiri; ce masque en pâte de verre la représente au contraire dans un moment de repos entre deux séances de pose. Hanako utilisait les termes de « femme méditative » pour parler de cette oeuvre. Détendue, la bouche entrouverte, le regard vide, son visage exprime le repos et l’abandon.

C’est le spécialiste Jean Cros qui participe à la création de la sculpture dans ce matériau. Utilisée depuis l’Antiquité, la pâte de verre remplace le plâtre dans un moule spécial avant de passer à la cuisson. Rodin a utilisé ce matériau pour les portraits de femmes parce qu’il crée un fini dont le coloris s’apparente à la carnation humaine.

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étape de la tournée: 108

Balzac – avant-dernière étude avec large revers au bord du manteau

Details and Transcript

 

Eugène Druet (1868–1917)
Monument to Balzac in the studio of the Dépôt des Marbres, Paris
Between 1896 and 1900
Gelatin silver print
37.2 x 21 cm
The Montreal Museum of Fine Arts, gift of the Neil Shaw family

Les sculptures de Balzac regroupées ici nous donnent un aperçu du cheminement de Rodin lorsqu’il conçoit une oeuvre. Nous sommes devant L’Avant-dernière étude avec large revers au bord du manteau, version très proche de l’oeuvre finale. Je vous invite à circuler d’une sculpture à l’autre pendant que je vous raconte l’histoire de ce monument et de l’immense controverse qu’il a suscité.

En 1891, l’écrivain Émile Zola, alors président de la Société des gens de lettres, passe commande à Rodin pour un monument à la mémoire du grand écrivain Honoré de Balzac. Rodin s’active à une recherche intensive. Il visite Tours, le lieu de naissance de Balzac. Il lit sa correspondance et ses oeuvres. Il consulte les portraits peints et les photographies. Il cherche des modèles ressemblants, avec la corpulence du romancier. Il demande même au tailleur de Balzac de lui confectionner la fameuse robe de chambre dans laquelle Balzac écrivait. Rodin l’enduit de plâtre afin de bien cerner la silhouette imposante du personnage. En 1859, Théophile Gauthier, l’ami de Balzac avait écrit ce qui suit sur ce célèbre vêtement :

Quelle fantaisie l’avait poussé à choisir, de préférence à un autre, ce costume qu’il ne quitta jamais? Nous l’ignorons, peut-être symbolisait-il à ses yeux la vie claustrale à laquelle le condamnaient ses labeurs, et, bénédictin du roman, en avait-il pris la robe?

L’Étude de nu est soumise au commanditaire en 1892. La statue est jugée indécente et la proposition de Rodin est rejetée. Toujours insatisfait, Rodin retarde sans cesse la présentation d’une autre esquisse à la Société. À mesure que les années passent, une conception plus personnelle du sujet prend forme chez Rodin. D’une représentation naturaliste, Rodin simplifie toujours plus.

« Je me suis efforcé d’élargir mon art, d’atteindre à la simplification qui est la vraie grandeur », dira-t-il.

Dans L’Avant-dernière Étude, toute l’expressivité est concentrée dans la tête. L’homme corpulent, drapé dans une robe de chambre aux plis stylisés, dissimule son corps difforme. Le regard est dirigé vers la tête dont l’artiste a exagéré les traits. Plus qu’une représentation réaliste ou littérale, son monument est un portrait moral qui rend hommage à la puissance créatrice du romancier et à l’immensité de son oeuvre. Ce monument révolutionnaire fait scandale. La polémique éclate et la critique est féroce. Ses détracteurs qualifie le Balzac de « sac à charbon », de « pingouin » de « masse informe », de « monstre obèse » de « colossal foetus », bref, d’une « chose sans nom ». La Société des gens de lettres refuse le monument. Profondément blessé, Rodin restera néanmoins convaincu de la valeur et de l’importance de son Balzac. Il dira :

Si la vérité doit mourir, mon Balzac sera mis en pièces par les générations à venir. Si la vérité est impérissable, je vous prédis que ma statue fera du chemin. Cette oeuvre dont on a ri, qu’on a pris soin de bafouer […], c’est la résultante de toute ma vie, le pivot même de mon esthétique. Du jour où je l’eus conçue, je fus un autre homme.

Rodin ne verra jamais son oeuvre coulée en bronze. Ce n’est qu’en 1939 que le monument sera installé au carrefour des boulevards Raspail et Montparnasse où il se trouve encore aujourd’hui.

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étape de la tournée: 109

Méditation sans bras

Details and Transcript

 

Auguste Rodin (1840–1917)
Meditation, small version
About 1885
Patinated plaster for bronze casting
60.5 x 32.1 x 29 cm
Paris, Musée Rodin
© Musée Rodin (photo Christian Baraja)

C’est une belle jeune femme dont le corps se tord douloureusement. Elle paraît en proie à un tourment mystérieux. Sa tête est profondément inclinée. Ses lèvres et ses paupières sont closes, et l’on pourrait croire qu’elle dort. Mais l’angoisse de ses traits révèle la dramatique contention de son esprit. Ce qui achève de surprendre, quand on la regarde, c’est qu’elle n’a pas de bras. Et l’on ne peut s’empêcher de regretter qu’une si puissante figure soit incomplète. L’on déplore les cruelles amputations qu’elle a subies.

C’est Paul Gsell qui raconte sa première impression lorsqu’il voit La Méditation dans l’atelier de Rodin.

Le maître lui répond :

Quel reproche me faites-vous? C’est à dessein, croyez-le, que j’ai laissé ma statue dans cet état. N’avez-vous point noté, en effet, que la réflexion, quand elle est poussée très loin, suggère des arguments si plausibles qu’elle conseille l’inertie.

En 1897, cette Méditation sans bras est exposée à Dresde et à Stockholm, mais elle est très mal reçue en raison de son aspect incomplet. Le poète Rilke comprend cette fragmentation volontaire de la part de l’artiste.

Nous sommes surpris de voir que les bras manquent. Rodin les éprouva dans ce cas comme quelque chose qui ne s’accordait pas avec le corps qui voulait s’envelopper en soi-même […]. Il en est de même des statues sans bras de Rodin ; il ne leur manque rien de nécessaire. On est devant elles comme devant un tout, achevé et qui n’admet aucun complément.

Les trois Méditation présentes ici, sont un bel exemple du travail de création de Rodin qui conçoit, reprend, agrandit, fragmente une figure. Créée d’abord pour La Porte, elle devient ensuite une Muse inspiratrice dans le Monument à Victor Hugo pour finalement connaître une vie propre,isolée et exposée seule.

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étape de la tournée: 110

La pensée

Details and Transcript

Auguste Rodin (1840–1917)
Thought (Portrait of Camille Claudel)
plaster, cast after the marble
1893-95
©Musée Rodin

La Pensée est un bel exemple de sculpture où le bloc fait partie intégrante de l’oeuvre. Rodin privilégie le contraste entre l’aspect lisse de la matière bien polie et les parties laissées à l’état brut. De la matière surdimensionnée et dégrossie rapidement émerge la tête d’une très belle jeune femme. Sa tête inclinée est couverte d’une coiffe. Son menton est appuyé sur le bloc et ses yeux sont baissés. L’oeuvre devant nous est un plâtre moulé sur la sculpture en marbre. Le modèle est Camille Claudel, artiste et grand amour de Rodin dans les années 1880. Camille Claudel fascine toujours aujourd’hui. Son destin tragique et le gâchis de cette vie interrompue émeuvent encore avec raison.

Camille Claudel entre dans la vie de Rodin vers 1882, d’abord comme élève puis à titre d’assistante dans son atelier. Elle a 18 ans et lui, 45 ans. Rodin se rend compte très rapidement du grand talent de la jeune femme qu’il qualifiera plus tard d’artiste de génie. D’ailleurs, à partir de 1882, elle expose régulièrement au Salon des bustes et des portraits de son entourage. Comme le démontrent ses lettres enflammées, Rodin en tombe éperdument amoureux. «Je t’aime atrocement», lui écrit-il. Entre deux sculptures qu’elle exécute pour lui, elle pose pour quelques-unes de ses oeuvres. Elle travaille à l’atelier de Rodin durant cinq années avant de se consacrer exclusivement à son oeuvre. En 1893, après dix années de relation, exaspérée par le refus de Rodin de quitter Rose Beuret, sa compagne de toujours, puis victime d’une maladie mentale qui la rend paranoïaque, elle rompt avec Rodin qu’elle accuse de tous les maux. Rodin s’en remet à grand peine comme le démontre sa correspondance. Il continue cependant de veiller sur elle à distance. De plus en plus frustrée par l’absence de commandes officielles, recluse et erratique, elle s’enfonce dans la maladie. Sa famille l’hospitalise finalement en 1915 dans une institution où elle mourra 30 ans plus tard en 1945. L’internement marque la fin de sa carrière. La Pensée est-elle une métaphore de la vie de son amante? Enfermée dans la maladie comme le corps de la figure est prisonnier du bloc de marbre? Une tête qui pense mais un corps absent, sans moyen d’agir? Ou est-ce au contraire le symbole de tous les possibles? La figure à moitié finie ne donne-t-elle pas l’illusion que tous les espoirs sont permis?

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étape de la tournée: 111

L’homme qui marche grand modèle

Details and Transcript

 

Auguste Rodin (1840–1917)
The Walking Man, large version
1907
Patinated plaster
218.3 x 160.2 x 74.9 cm
Paris, Musée Rodin
© Musée Rodin (photo Adam Rzepka)

Avec cet Homme qui marche, nous avons un exemple de la fragmentation et de l’assemblage qui sont les fondements de la modernité de Rodin. Créée vingt ans après le Saint Jean-Baptiste que nous verrons au numéro suivant cette oeuvre est le fruit d’un assemblage d’une étude des jambes et d’un torse probablement aussi lié à cette figure. Retrouvé fissuré, accidenté après des années d’oubli, Rodin le laisse comme tel, de sorte que le torse contraste avec le modelé lisse des jambes. Les crevasses du torse sans bras ni tête accentuent la référence aux débris antiques. Rodin dira :

« On m’a souvent reproché de n’avoir pas donné de tête à mon Homme qui marche ; mais est-ce que c’est avec la tête qu’on marche? »

L’Homme qui marche est souvent considéré comme le symbole même de la création pure sans référence à un sujet en particulier. Jumelé à l’assemblage évident que Rodin ne cherche aucunement à dissimuler, cette sculpture affirme sans conteste un des aspects novateurs de son oeuvre.

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étape de la tournée: 112

Saint jean-baptiste moyen modèle

Details and Transcript

Auguste Rodin (1840–1917)
Saint John the Baptist Preaching
medium-sized version, Plaster
1878
©Musée Rodin

Voici le Saint Jean-Baptiste dont les moulages ont servi à la création de L’Homme qui marche. C’est un Saint Jean-Baptiste très différent des représentations traditionnelles du saint homme. En effet, celui qui annonce la venue de Jésus ne porte ni la tunique en poil de chameau, ni la croix de roseau qui permettent habituellement de l’identifier. Il est nu et il ne garde que le geste de la main levée suspendue dans l’espace. Très tôt dans sa carrière, Rodin supprime ce qui lui semble superflu. L’année précédente, au Salon de 1877, il avait présenté un nu grandeur nature tellement parfait qu’on avait accusé le sculpteur d’avoir moulé le corps de son modèle. Pour faire taire ces soupçons, Rodin crée son Saint Jean-Baptiste plus grand que nature. Laissons Rodin nous raconter comment lui est venue l’idée de cette figure alors que l’Italien Pignatelli, un paysan des Abbruzzes, était venu se proposer comme modèle :

En le voyant, je fus saisi d’admiration ; cet homme fruste, hirsute, exprimait dans son allure […] toute la violence, mais aussi tout le caractère mystique de sa race. Je pensai immédiatement à un Saint Jean-Baptiste, c’est-à-dire à un homme de la nature, un illuminé, un croyant, un précurseur venu pour annoncer un plus grand que lui. Le paysan se déshabille, monte sur la table tournante; il se campe, la tête relevée, le torse droit, portant à la fois sur les deux jambes, ouvertes comme un compas. Le mouvement était si juste, si caractérisé et si vrai que je m’écriai : « Mais c’est un homme qui marche! » Je résolus immédiatement de faire ce que j’avais vu.

Cette citation met en lumière deux choses : l’importance du modèle qui est celui qui suggère la pose et la volonté d’exprimer le mouvement par le repos, le but ultime de tout son art.

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étape de la tournée: 113

Le penseur

Details and Transcript

 

Auguste Rodin (1840–1917)
The Thinker, large version
1903
Patinated plaster for bronze casting
182 x 108 x 141 cm
Paris, Musée Rodin
© Musée Rodin (photo Christian Baraja)

Avec Le Baiser, Le Penseur est probablement la sculpture la plus connue de Rodin. Dès le début du projet de La Porte de l’Enfer en 1880, Rodin conçoit sa figure au sommet de la porte dans le tympan. C’est d’ailleurs le seul élément constant de cette oeuvre souvent modifiée. Ce sera d’abord le poète Dante, l’auteur de La Divine Comédie, qui contemple le spectacle dramatique qui se joue plus bas. Comme plusieurs des figures de La Porte, Le Poète, qui deviendra plus tard Le Penseur, connaît une vie autonome. De 71 centimètres à l’origine, la sculpture est agrandie à cette version colossale qui augmente indéniablement sa force expressive. Il existe 21

exemplaires du Penseur monumental dans le monde. C’est à partir de 1900, alors que Rodin participe à de nombreuses expositions internationales importantes, qu’il commande de plus en plus d’agrandissements de ses sculptures. Cette difficile tâche est confiée au spécialiste Henri Lebossé. Au 19e siècle, plusieurs inventions permettent l’agrandissement et la réduction mécanique des sculptures. Une épreuve de ce grand Penseur sera offerte à la Ville de Paris et placée devant le Panthéon de 1906 à 1922. Après cette date, la sculpture sera exposée dans les jardins du musée Rodin.

Assis sur un rocher, un homme à la musculature puissante, au faciès tourmenté, à la chevelure défaite, réfléchit. Son corps athlétique renvoie aux sculptures de Michel-Ange. Observez le contraste entre la contraction des muscles qui suggère l’effort alors que la pose, elle, évoque le recueillement. Rilke, admirateur, dira :

Il est assis, perdu et muet, lourd d’images et de pensées et toute sa force – qui est la force de quelqu’un qui agit – pense. Son corps entier s’est fait crâne, et tout le sang de ses veines, cerveau.

Mais les critiques ne sont pas toutes aussi élogieuses. Il est difficile aujourd’hui d’imaginer les réactions hostiles au Penseur lorsqu’il a été installé devant le Panthéon. Plusieurs le trouvent vulgaire et trop massif. On le qualifie de gorille et de brute. On ridiculise sa position qui donne lieu à des caricatures scatologiques. Mais qui est ce Penseur? Qui est cet homme? Est-ce vraiment Dante qui réfléchit à sa Divine Comédie ou Rodin lui-même qui conçoit son oeuvre?

Rodin dira : « Ce n’est pas un rêveur, c’est un créateur. J’ai fait ma statue. » C’est d’ailleurs cette oeuvre qu’on placera sur la tombe de Rodin en 1917.

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étape de la tournée: 114

Ugolin et ses fils sur une colonne

Details and Transcript

Auguste Rodin (1840–1917)
Ugolino and His Children on a Column
plaster
1882
©Musée Rodin

La question du socle a vivement intéressé Rodin qui en a exploité toutes les possibilités. Un socle supporte l’oeuvre, la met en valeur et la protège. Avec Rodin, le socle devient partie intégrante de l’oeuvre. C’est lors de sa rétrospective en 1900, que Rodin présente Ugolin et ses fils sur colonne. Il y a quelques exemples de ce type de présentation dans cette salle, dont Le Pied du Penseur et Le Buste de Madame Fenaille où le socle est lui aussi moulé en bronze. D’abord conçu pour La Porte de l’Enfer, comme nous l’avons vu dans la maquette en début de parcours, Ugolin et ses fils s’en détache et devient oeuvre indépendante. Le sujet tiré de La Divine Comédie raconte le châtiment encouru par Ugolin, un comte italien du 13e siècle. Après avoir gouverné par la terreur, il est condamné pour trahison et est emprisonné avec ses quatre fils. Rendu fou par la faim, Ugolin est réduit à l’état d’une bête, la légende voulant qu’il ait dévoré la chair de ses fils. C’est ce que la pose humiliante d’Ugolin suggère ici avec force. Écoutons Paul Gsell rendre compte de l’émotion suscité par cette oeuvre lors de sa visite de l’exposition :

C’est une figure d’un réalisme grandiose. Elle ne rappelle point du tout le groupe de Carpeaux : elle est plus pathétique encore, s’il est possible. Dans l’oeuvre de Carpeaux, le conte pisan torturé par la rage, la faim et la douleur de voir ses enfants près de périr, se mord à la fois les deux poings. Rodin a supposé le drame plus avancé. Les enfants d’Ugolin sont morts: ils gisent sur le sol, et leur père, que les affres de son estomac ont changé en bête, se traîne sur ses mains et sur ses genoux au-dessus de leurs cadavres. Il se penche vers leur chair; mais, en même temps, il rejette violemment sa tête de côté. En lui se livre un effroyable combat entre la brute qui veut se repaître, et l’être pensant, l’être aimant, qui a horreur d’un si monstrueux sacrilège. Rien n’est si poignant!

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étape de la tournée: 115

Les trois ombres

Details and Transcript

 

Auguste Rodin (1840–1917)
The Three Shades, small version (for The Gates of Hell)
1897
Patinated plaster for bronze casting
97.4 x 95.6 x 52.1 cm
Paris, Musée Rodin
© Musée Rodin (photo Christian Baraja)

Rodin est d’abord et avant tout un modeleur et non un tailleur de marbre. Sur une armature en bois et en métal, Rodin modèle ses figures en terre glaise. L’oeuvre est ensuite confiée au mouleur. C’est ce spécialiste qui fabrique le moule qui produira un ou plusieurs plâtres à l’exacte imitation du modelage. Rodin exige toujours plusieurs moulages d’une même oeuvre afin de les modifier ou de les réutiliser à sa guise selon ses besoins. Dans le cas des Trois Ombres, ce sont trois moulages identiques que Rodin place de manière à offrir trois points de vue différents de la figure. Dans ce procédé de multiplication que Rodin utilisera fréquemment, la répétition de la même figure donne un rythme à l’ensemble. Elle rappelle les expériences photographiques de l’époque comme celles d’Étienne-Jules Marey ou de Muybridge qui analysent le mouvement par une succession de photographies.

C’est au sommet de La Porte de l’Enfer que Rodin destine ses Trois Ombres. Au début de ses recherches, Rodin prévoit installer Adam et Ève de chaque côté de La Porte, idée qu’il abandonne au profit des Trois Ombres. Cependant, les figures conservent l’attitude affligée d’Adam que vous pouvez voir dans cette salle. Elles sont les âmes damnées de Dante qui se tiennent à la porte de l’enfer et qui disent: « Vous qui entrez, abandonnez toute espérance. »

Avec leurs têtes courbées et leurs mains dirigées vers le bas, Les Ombres regardent le spectacle dramatique qui se déroule plus bas. Cet accablement, cette pose douloureuse, rappelle sans conteste les oeuvres de Michel-Ange.

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étape de la tournée: 116

Le Poète et la Sirène

Details and Transcript

Auguste Rodin (1840–1917)
The Poet and The Siren (maquette)
plaster
1909
©Musée Rodin

Nous voici devant Le Poète et la Sirène, un marbre taillé par Curillon en 1909. Profitons de la présence de l’oeuvre en plâtre pour comparer les oeuvres dans deux matériaux bien distincts mais surtout pour observer les modifications apportées par Rodin lorsqu’est venu le temps de traduire l’oeuvre en marbre. On perçoit bien l’assemblage d’un nu féminin penché en avant et d’un nu masculin assis, incliné vers l’arrière avec son bras droit levé. Pour en faire une sirène, Rodin ajoute du plâtre sur les pieds de la figure féminine. La base sur laquelle reposent les figures est accidentée et fait peut-être allusion aux flots de la mer, l’habitat naturel de ces déesses mi-femme mi-poisson. Dans le marbre, La Sirène est encore engloutie dans la matière et la base est beaucoup plus imposante. Encore une fois, Rodin oppose le fini lisse des figures à l’aspect brut du bloc. Les variations entre le plâtre et le marbre démontrent que la création chez Rodin est un processus toujours en mouvement.

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étape de la tournée: 117

Sirènes

Details and Transcript

 

Auguste Rodin (1840–1917)
The Sirens
Before 1887
Marble, Jean Escoula practitioner, between 1889 and 1892
44.5 x 45.7 x 27 cm
The Montreal Museum of Fine Arts, gift of the Huntly Redpath Drummond family
Photo MMFA, Jean-François Brière

Mi-femme mi-poisson, les sirènes et leurs chants envoûtants détournent les marins qui font naufrage sur les rochers. Dans l’Odyssée d’Homère, Ulysse bouchera les oreilles de ses compagnons avec de la cire et se fera attacher au mat de son navire pour ne pas succomber à leurs chants. Voici encore une oeuvre conçue à l’origine pour La Porte de l’Enfer. On retrouve aussi les Sirènes dans les premiers projets du monument à Victor Hugo. Elles seront agrandies puis présentées seules avec une base qui suggère l’élément naturel dans lequel elles évoluent. Très populaire à cause de leur sensualité, le groupe sera aussi traduit en bronze.

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étape de la tournée: 118

Ève petit modèle

Details and Transcript

Auguste Rodin (1840–1917)
Eve
Marble
c. 1883
Gift of Mr. and Mrs. Frank P. Wood, 1928
© Art Gallery of Ontario

Comme nous l’avons mentionné précédemment, Rodin avait prévu placer Adam et Ève de chaque côté de La Porte de l’Enfer, idée qu’il abandonne au profit des Trois Ombres. La figure d’Ève connaît alors une vie autonome en divers matériaux et à différentes échelles, comme nous pouvons l’observer ici. Il faut préciser d’emblée que Rodin ne taille pas ses marbres lui-même. Il est modeleur et non tailleur de pierre. Il emploie plusieurs praticiens auxquels il donne cependant des directives très précises. C’est lui qui décide de l’aspect final de la sculpture et qui surveille le travail à toutes les étapes. Confier la traduction de l’oeuvre en marbre à un tailleur est une pratique courante dans l’histoire de l’art à partir de la Renaissance. Depuis Léonard de Vinci qui définit l’art comme « una cosa mentale », c’est sa conception et non sa fabrication qui définit l’oeuvre l’art. Ce n’est qu’au 20e siècle qu’il y aura un retour à la taille directe par des sculpteurs comme Brancusi et Henry Moore.

Amusez-vous à comparer ce marbre avec le grand modèle en plâtre patiné Y a-t-il autant de détails, le modelé est-il le même, la pose varie-t-elle? Observez le support derrière les jambes de la figure en marbre, absent dans le plâtre, et le resserrement des membres. Voilà de nouvelles caractéristiques qui apparaissent dans les marbres de la fin des années 1890.

Rodin représente Ève après la faute alors qu’elle est honteuse et consciente de sa nudité qu’elle tente de cacher. Selon la tradition chrétienne, Ève est responsable du péché originel et par conséquent des maux qui accablent l’humanité. Les bras qui l’enlacent et le visage presque dissimulé dans son bras gauche replié expriment bien la honte qu’elle ressent alors qu’elle et son compagnon sont chassés du paradis terrestre. La sensualité de la figure, exposée en 1882, lui assure la faveur du public. Pour répondre à la demande, Rodin en fera plusieurs exemplaires en bronze et en marbre. La jeune femme qui sert de modèle pour Ève est parmi les préférées de Rodin. C’est une Italienne des Abruzzes nommée Adèle : « Une femme superbe dans sa force sauvage qui avait des mouvements rapides et félins et la souplesse et la grâce d’une panthère », raconte Rodin. Il préfère des modèles qui ne sont pas du métier car elles sont plus spontanées et ne prennent pas les poses convenues des ateliers traditionnels. Il les encourage à rester naturelles. Il leur dit : « Ne faites pas semblant de vous coiffer, coiffez-vous. »

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étape de la tournée: 119

Le baiser

Details and Transcript

 

Auguste Rodin (1840–1917)
The Kiss, reduction No. 1, master model
1898
Bronze, Barbedienne Foundry, cast 1898
71.1 x 42.5 x 45 cm
Paris, Musée Rodin
© Musée Rodin (photo Christian Baraja)

Si vous avez eu la chance d’aller au musée Rodin à Paris, vous avez pu voir le grand marbre de ce célèbre Baiser. À l’origine, dans la taille que nous avons ici, le couple est conçu pour le grand projet de La Porte de l’Enfer. Cette sculpture représente le baiser qu’échangent Paolo Malatesta et Francesca da Rimini, au moment où ils prennent conscience de leur amour. Surpris et immédiatement tués par le mari de Francesca, ils furent condamnés à errer éternellement en enfer raconte Dante, l’auteur toscan de La Divine Comédie. Rodin décide finalement de retirer ce groupe de La Porte car sa représentation d’un moment de pur bonheur n’était pas compatible avec la vision tragique qu’il voulait donner à l’enfer.

Exposée comme oeuvre autonome en 1887, elle remporte un vif succès et l’État en commande une version agrandie en marbre que Rodin livre dix ans plus tard. Le grand modèle du Baiser est exposé en 1898 avec la statue de Balzac. En exposant son grand bibelot, comme il qualifiait lui-même son Baiser, avec la statue choquante de Balzac, Rodin cherche peut-être à rassurer les visiteurs avec une oeuvre qu’il savait plus traditionnelle.

Rodin cède ses droits de reproduction du Baiser au fondeur Ferdinand Barbedienne. Le contrat règlemente la taille des sculptures, mais ne précise aucune limite à l’édition. Le bronze que voici est ce qu’on appelle un modèle maître ou un chef modèle. C’est à partir de ce bronze que Barbedienne reproduit la sculpture au lieu d’utiliser le modèle en plâtre car celui-ci s’émousse après quelques utilisations. Les épreuves tirées des chefs modèles en bronze sont de grande qualité.

BRONZES POST-MORTEM

Le musée Rodin à Paris a vu le jour en 1919 soit deux ans après la mort de Rodin. Celui-ci avait laissé tout son oeuvre à l’État, mais aucune directive concernant la reproduction de ses oeuvres. À cette époque, aucune disposition juridique n’existait pour limiter le nombre de tirages d’éditions originales. La numérotation des tirages est très récente et il est impossible de retracer la production des bronzes jusqu’à la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Depuis 1981, les tirages d’épreuves dites originales sont limités en France à douze exemplaires issus du même moule dont quatre hors commerce. La loi ne fait pas de différence entre les bronzes réalisés du vivant de l’artiste et les oeuvres fondues après sa mort à la condition qu’ils proviennent de moules originaux faits du vivant de l’artiste. Les oeuvres éditées par le musée Rodin portent le copyright du musée, la marque du fondeur et la date de la fonte.

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étape de la tournée: 120

La défense ou l’appel aux armes

Details and Transcript

 

Auguste Rodin (1840–1917)
The Defense, or The Call to Arms
1879
Bronze, Léon Perzinka Foundry, cast 1899
111.7 × 64.5 × 43 cm
The Montreal Museum of Fine Arts, purchase, Horsley and Annie Townsend Bequest
This work was sold by Max Stern, Dominion Gallery, Montreal (1961)
Photo MMFA, Jean-François Brière

Depuis 1961, cette sculpture intitulée La Défense ou l’Appel aux armes fait partie de la collection du Musée des beaux-arts de Montréal.

Bien que la marque du fondeur n’apparaisse pas, on sait qu’elle a été réalisée par le fondeur Léon Perzinka. Cet artisan, qui travaille seul dans sa fonderie, collabore avec Rodin à partir de 1896. C’est cette version qui est exposée en 1900 au pavillon de l’Alma. Comme c’est souvent le cas, la sculpture est fabriquée à partir de plusieurs sections qui sont jointes après la fonte. C’est Perzinka qui fait lui-même les sutures pour souder les parties entre elles et qui fait aussi la patine, étapes habituellement confiées aux spécialistes que sont le ciseleur et le patineur. Si vous êtes un observateur attentif, vous pourrez détecter les joints des figures et déchiffrer le nombre de pièces qui ont été nécessaires à la fonte de ce monument. Vous pouvez aussi comparer les deux Défense entre elles. Cette deuxième fonte a été réalisée 15 plus tard par l’atelier Rudier, l’autre grand collaborateur de Rodin.

Contrairement à la plupart des sculpteurs de son temps, Rodin suivait le processus de la fonte et de la patine avec soin et vigilance. Ceci est confirmé par une lettre de Rodin qui dit au sujet d’une de ses sculptures :« Elle est telle que le modèle que j’ai modelé. Le bronzeur ne touche jamais, par mon ordre, à mon modèle. »

Cette précision est nécessaire pour comprendre que l’aile brisée est un choix esthétique de Rodin et non un défaut de fonte.

HISTOIRE DE LA DÉFENSE DE PARIS À MONTRÉAL

En 1879, le Conseil municipal de Paris lance un concours pour commémorer la résistance héroïque des Parisiens lors de la guerre franco-prussienne de 1870. Rodin concentre l’accent sur la colère et l’énergie de la figure allégorique de la Liberté qui rappelle La Marseillaise de François Rude. La Liberté coiffée du bonnet phrygien, s’élance dans les airs. Elle émet un cri perçant, serre ses deux poings et bat l’air de ses ailes. Le corps du soldat est affaissé sur elle. La direction opposée des lignes des corps donne une vigueur et un dynamisme expressif à la sculpture. La jambe gauche repliée et l’affaissement du corps du mourant rappellent la piéta florentine que Michel-Ange avait sculptée pour sa propre tombe. Son bras gauche tient mollement un glaive brisé. Par ailleurs, les surfaces sont brièvement modelées et le visage du soldat est à peine détaillé. Mais la sculpture est refusée. C’est le traitement du sujet qui rebute le jury et qui cause le rejet du projet. Il ne correspond pas à la représentation héroïque souhaitée par l’État. Agrandie au double de sa taille, la sculpture sera finalement fondue en bronze en 1919, puis offerte à la Ville de Verdun.

La Défense du Musée des beaux-arts de Montréal est celle qui fut exposée au pavillon de l’Alma, lors de l’exposition rétrospective de Rodin en 1909. À la fin de l’exposition parisienne, la sculpture part pour Vienne où elle sera acquise par le collectionneur et industriel Ferdinand Block-Bauer. Lors de l’annexion de l’Autriche par le Troisième Reich en 1938, elle sera achetée à vil prix par le directeur du Musée de Dresde chargé par Hitler de constituer la collection de son futur musée à Linz. Cachée dans une mine de sel à partir de 1941, elle sera retrouvée intacte en 1945. C’est alors que les ayants droit entament la procédure de restitution des collections de leur oncle décédé en 1945.  En 1948, La Défense sera remise à la nièce de Ferdinand Block-Bauer, Luise Gattin,  alors installée à Vancouver. En 1960, Madame Gattin décide de vendre la sculpture et c’est grâce à l’insistance de Max Stern, de la Galerie Dominion, que le Musée des beaux-arts de Montréal fera l’acquisition de l’oeuvre.

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étape de la tournée: 121

Jean D Aire and Outro

Details and Transcript

 

Auguste Rodin (1840–1917)
Monument to The Burghers of Calais in the garden of the Musée Rodin

1889
Bronze
Alexis Rudier Foundry, cast 1926
©Musée Rodin

Je vous présente Jean d’Aire et tout près de lui, Eustache de Saint-Pierre et Andrieu d’Andres, trois des six personnages qui composent le monument Les Bourgeois de Calais. Avant de vous parler de Jean D’Aire, j’aimerais vous raconter l’histoire de ce monument. En 1885, la ville de Calais commande un monument afin de commémorer le geste héroïque des Calaisiens lors de la guerre de Cent Ans. Lors du siège de la ville en 1347 par le roi Édouard III d’Angleterre, celui-ci offre d’épargner la ville si on lui livre six notables en chemise, pieds nus et la corde au cou pour lui présenter les clés de la ville. Rodin choisit le moment de tension le plus extrême où les six bourgeois sont persuadés qu’ils vont à la mort.

Les personnages plus grands que nature sont présentés dans leur individualité. Seule leur décision héroïque les unit. Contrairement à plusieurs monuments publics de l’époque, le groupe n’est pas présenté disposés dans une structure pyramidale imposante, mais sur un plan horizontal. C’est le contraste entre la grandeur d’âme des hommes et la simplicité de leur représentation qui crée toute la force d’expression du groupe.

Ainsi s’achève notre visite.

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